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LA MEUTE - THÉÂTRE EST À L'ORIGINE UN COLLECTIF, FONDÉ EN 2010 PAR FLORIAN BARDET, CLÉMENT BONDU, THIERRY JOLIVET, GABRIEL LECHEVALIER ET NICOLAS MOLLARD, AUTEURS, ACTEURS ET METTEURS EN SCÈNE ISSUS DU CONSERVATOIRE DE LYON. THIERRY JOLIVET ASSURE LA DIRECTION ARTISTIQUE DE LA COMPAGNIE DEPUIS 2015. 

 

THIERRY JOLIVET EST ARTISTE ASSOCIÉ AUX CÉLESTINS - THÉÂTRE DE LYON DE 2019 À 2023.

 

LA MEUTE - THÉÂTRE REÇOIT LE SOUTIEN DE LA VILLE DE LYON POUR SON FONCTIONNEMENT. 

2023. SOMMEIL SANS RÊVE 

THIERRY JOLIVET

Les Célestins - Théâtre de Lyon

2021. NOUS AURIONS TANT VOULU QU'ON NOUS AIME

JEAN-LUC LAGARCE / THIERRY JOLIVET

Théâtre de la Cité Internationale - Paris

2019. TOUT LE LONG DU JOUR COMME DES AGNEAUX DE BOUCHERIE

FLORIAN BARDET & THIERRY JOLIVET

Théâtre Nouvelle Génération - CDN de Lyon

2017. LA FAMILLE ROYALE

WILLIAM T. VOLLMANN / THIERRY JOLIVET

Les Célestins - Théâtre de Lyon / Tournée nationale

2014. BELGRADE (Festival Impatience - Prix du Public)

ANGÉLICA LIDDELL / THIERRY JOLIVET

Le Centquatre - Paris / Tournée nationale

2013. SI TU VEUX MA VIE VIENS LA PRENDRE

ANTON TCHEKHOV / FLORIAN BARDET & NICOLAS MOLLARD

Les Amphis - Vaulx-en-Velin

2011. KARAMAZOV

FIODOR DOSTOÏEVSKI / FLORIAN BARDET

Théâtre de l'Élysée - Lyon

2010. HAMLET

WILLIAM SHAKESPEARE / CLÉMENT BONDU

Théâtre Kantor - ENS de Lyon

2022. LA CHAMBRE CLOSE

LARS NORÉN / THIERRY JOLIVET

Théâtre Point du Jour - Lyon

2019. VIE DE JOSEPH ROULIN

PIERRE MICHON / THIERRY JOLIVET

Les Célestins - Théâtre de Lyon / Tournée nationale

2019. LE CRI

HOWARD BARKER / THIERRY JOLIVET

Conservatoire de Nantes

2016. VIVRE

CLÉMENT BONDU & THIERRY JOLIVET

Le Centquatre - Paris

2013. ITALIENNE

JEAN-FRANÇOIS SIVADIER / THIERRY JOLIVET

Festival Esquisses d'été - La Roche-sur-Yon

2012. LES CARNETS DU SOUS-SOL

FIODOR DOSTOÏEVSKI / THIERRY JOLIVET

Théâtre de l'Élysée - Lyon

2011. LE GRAND INQUISITEUR

FIODOR DOSTOÏEVSKI / THIERRY JOLIVET

Théâtre de La Croix-Rousse - Lyon

2010. LES FOUDROYÉS

DANTE ALIGHIERI / THIERRY JOLIVET

Théâtre de l'Élysée - Lyon

 

 

AUX DÉSERTEURS
 

C'est une chambre silencieuse, une chambre de bois et de lumière, et des images sont peintes sur les murs et au commencement un enfant se tient là, à l'intérieur de la chambre, un enfant esseulé qui regarde le plafond ou qui regarde par la fenêtre ou qui regarde à l'intérieur de lui-même. Des amis vont venir. C'est dans la chambre que les amis viennent, c'est dans la chambre que les amis finissent toujours par venir pour peu qu'on sache les désirer et les reconnaître, et c'est pourquoi l'enfant se tient là, dans l'impatience d'être rejoint. C'est dans la chambre que les amis viennent, fument, pleurent ou se taisent, restent les yeux clos ou se vautrent en ricanant, ça dépend, d'ailleurs toutes sortes d'amis viennent dans la chambre, avec toutes sortes de corps et de langages, tantôt c'est une jeune flle nue, tantôt un adolescent bavard, tantôt c'est tout un bataillon d'écrivains, d'acteurs, de musiciens, et parfois il se tient dans la chambre un ami qui n'a même pas de corps, c'est juste un livre, un disque, un objet perdu puis retrouvé. Et parfois la chambre ne se trouve pas ici mais dans une autre ville, dans un autre pays, c'est une chambre d'hôtel ou la maison d'un inconnu, parfois ça ne ressemble même pas vraiment à une chambre, parfois c'est une église, une forêt, le compartiment d'un train ou un cercle imaginaire au milieu de la fête. Parfois la chambre est petite comme une chaise ou comme un cerveau, et parfois la chambre est si vaste qu'on peut y faire entrer les batailles, les conquêtes et les cent mille bouches de la révolution. Parfois la chambre c'est une chambre, et parfois la chambre c'est un théâtre. Néanmoins où qu'elle se trouve, quels qu'en soient la taille et l'agencement, il ne peut se tenir dans la chambre que des amis, évidente question de protocole, nul ne comprendrait qu'il en soit autrement, ou pour mieux dire le fait qu'il en soit autrement paraîtrait suspect à quiconque connaît la manière dont il convient de se tenir dans une chambre, surtout si c'est la chambre d'un mort ou d'un nourrisson, ce qui est le cas de toutes les chambres du monde. Il ne peut se tenir dans la chambre que des amis, liés par autre chose que de seules relations de charge ou de proft, et ce pour la simple raison qu'il s'agit d'une chambre et pas d'un vestibule. C'est pourquoi les courtisans n'y sont pas les bienvenus, pas plus que les mercenaires, on n'y fait pas de pige de toute façon, on tâche de s'y écrire un destin, ça prend plus de temps et ça nourrit mal, du reste quand par mégarde l'un d'entre eux s'aventure dans la chambre il s'y sent vite à l'étroit et n'y reste pas longtemps, pas complètement stupide il retourne au salon où il est plus à son affaire. Dans la chambre les perspectives de carrière sont nulles et les catégories professionnelles inopérantes, il ne s'y trouve pas de collaborateur, pas d'assistant, pas de chargé de quoi que ce soit, d'ailleurs dans la chambre on n'emploie pas ce genre de mots, on aurait du mal à le faire sans hurler de rire, du moins s'efforce-t-on de n'user qu'en dernier recours du glossaire de la novlangue institutionnelle, ce catalogue de vocables indigents ou rendus indigents par l'indigence de qui les emploie, la parole est encore un animal précieux dans la chambre, le fantôme de Thomas Bernhard est là qui veille à la pesée du langage, et le Mauser qu'il arbore à la ceinture avec la dernière élégance découragerait le plus hardi des technocrates, fût-il un technocrate culturel. Il ne se trouve dans la chambre pas de prodiges à louer mais des amants à chérir, pas de champions à acclamer mais des frères à étreindre, et si certains sont pourvus d'un quelconque talent ils tâchent de n'en user qu'avec timidité et sans blesser personne, parce que dans la chambre on n'a pas pour habitude de se livrer à des concours d'habileté, parce que dans la chambre on n'aime pas beaucoup les virtuoses, les acrobates, les spécialistes, les cadors du close-up et de la prosodie, ils veulent épater la galerie et dans la chambre on ne tient pas du tout à être épaté, on tient à être éperdu, foudroyé, suspendu dans les airs le corps tremblant et l'âme irradiée de douleur et d'amour, c'est pourquoi dans la chambre il vaut mieux ne rien savoir faire à part pleurer écrire et avoir soif. D'une certaine manière, se tenir dans la chambre revient à choisir son camp. Se tenir dans la chambre revient à prendre son parti. Dans la chambre, quelque chose accorde les êtres qui n'est pas un commerce ou pas seulement un commerce ou pas toujours un commerce mais la miséricorde, la consolation, le sacrifice, la gratitude et les promesses, et l'inlassable désir de fraternité. Dans la chambre il n'y a rien à gagner, si ce n'est une raison de vivre. Notre chambre s'appelle La Meute. Il en est de plus pauvres comme de plus illustres. Certaines sont connues de tous et accessibles par la route, d'autres sont si bien cachées que leur existence même est tenue pour légendaire. Dans l'une d'elles, Roberto Bolaño écrit à voix haute un poème de terreur et d'alcool pour faire rire son ami Mario Santiago Papasquiaro, et celle-ci ne ressemble pas à une chambre mais à une promenade hallucinée dans les artères de Mexico DF. Dans une autre, Gérard Depardieu sanglote délicatement sous l'oeil d'ombre de son ami Maurice Pialat, et celle-ci ne ressemble pas à une chambre mais à une terrasse ouverte sur le ciel où l'on s'enfile des wagons de cuisses de grenouilles à l'ail. Dans une autre, Allen Ginsberg fait claquer sa Remington assis défoncé la bite à l'air sur le cadavre de son ami Jack Kerouac, et celle-ci ressemble à une chambre et c'est une chambre et elle se trouve à l'intérieur du Chelsea Hotel au 222 West de la 23e rue à New York. Mais toute chambre en ce monde fnit un jour par être quittée, et alors le dernier à sortir ferme la porte derrière lui et dit nous nous sommes connus et ce n'est pas rien, nous nous sommes connus et ce n'est pas rien.
 

Thierry Jolivet
Alternatives théâtrales n° 126-127 
Octobre 2015

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