Rencontrer l’écriture de Fédor Dostoïevski, c'est se trouver littéralement déplacé, saisi par le tableau d’apocalypse que constitue son oeuvre, par ce portrait en clair-obscur d’une humanité frénétique, secouée de fièvres et de sanglots, se débattant tant bien que mal dans l’absence de sens. La voix de Dostoïevski n’est pas une consolation, mais une lente immersion dans les vertiges souterrains de l’âme humaine. Pourtant, elle dispense un soutien plus grand que le réconfort : nous révélant à nous-mêmes, elle nous aide à nous tenir debout.
L’avènement des grands inquisiteurs prophétisé par Dostoïevski s’est, d’une certaine manière, réalisé au cours du vingtième siècle, et continue de projeter ses ombres sur nous à l’heure de la toute-puissance médiatique et marchande. Les idoles sont partout, et participent de l’entreprise d’aliénation généralisée. "Nous sommes hypnotisés par des dieux dérisoires, et notre souffrance redouble de les savoir dérisoires", écrit René Girard. Réentendre l’Inquisiteur à la lumière de notre temps ne peut être que salutaire.
Thierry Jolivet
Avril 2011